Appel A Communications
L’espace caribéen n’est pas une entité enclavée et statique, singulière et homogène, mais hétérogène, dynamique et perméable, constituant un « chaudron » voué à un mouvement brownien, un contexte macro-culturel ajointé comme une mosaïque de divergences et de convergences. Les auteurs d’Éloge de la créolité le soulignent nettement : « Notre Histoire est une tresse d’histoires. Nous avons goûté à toutes les langues, à toutes les parlures. » Leur intention est d’ailleurs d’exprimer « une totalité kaléidoscopique, c’est-à-dire la conscience non totalitaire d’une diversité préservée ».
Aussi se pourrait-il que, du fait des modalités de sa constitution et du processus historique dont il relève, l’espace caribéen soit une spécificité ouverte, les constructions identitaires y étant conjuguées de façon tant collective que singulière.
Dans cette perspective, la saisie des réalités humaines, culturelles, littéraires et artistiques de la Caraïbe en termes de représentation(s) semble opératoire. Émile Durkheim affirme que « la représentation n’est pas une image simple ou une réalité », précisant que « [c]’est plutôt une force qui provoque autour de nous un tourbillon de phénomènes organiques et psychologiques ». Il se trouve que, dans un espace caribéen si marqué par les affres de l’Histoire, la représentation du « moi » et du sujet est constamment et inéluctablement déterminée de la sorte, en l’occurrence par des « phénomènes organiques et psychologiques » ayant un impact sur les formes culturelles les plus diverses. Il convient en outre de se demander si le « tout-monde » énoncé et revendiqué par Édouard Glissant comme élément constitutif d’une « poétique de la relation », parce qu’il suppose une vision large de la culture, n’est pas en mesure d’en fournir une grille de lecture efficiente.
En privilégiant un axe de réflexion historique (articulant les leçons tirées du passé, l’observation et l’analyse du temps présent, l’interprétation des constructions identitaires), ce colloque international et interdisciplinaire a donc l’ambition d’appréhender la Caraïbe sans aucune exclusive linguistique ni culturelle.
Son objectif est d’une part de faire le bilan des précédentes tentatives de la communauté scientifique pour « dire » et « penser » la Caraïbe, et d’autre part d’élaborer de nouvelles hypothèses dans trois directions : l’analyse des processus par lesquels des relations inégalitaires et extrêmement violentes entre les peuples et les classes, nourries pendant fort longtemps par l’esclavage, ont « informé » les sociétés caribéennes ; le questionnement de l’usage à des fins de communication et/ou de création d’une langue d’« emprunt » ; la réévaluation des catégories et des notions à travers lesquelles la critique a l’habitude de commenter et de « territorialiser » les productions littéraires de la Caraïbe ou d’écrivains issus des formations économiques et sociales caribéennes.
Ce colloque donnera l’occasion à ses participants de réexaminer le rapport de la Caraïbe au reste des Amériques, à l’Afrique, l’Asie et l’Europe : dans l’Histoire, les imaginaires, les cultures ; dans les univers fantasmatiques des sujets ; dans les « inconscients » collectifs. Il incitera de surcroît ceux-ci à une investigation des structures sociales multicuturelles de la « région » envisagée comme un laboratoire de la « modernité » américaine (et non pas comme une marge ni une annexe déshéritée de celle-ci). Il leur suggèrera par ailleurs une interrogation quant au défi de « l’homo-hégémonisation » (Jacques Derrida) ou à « la domination silencieuse » (Patrick Chamoiseau) attendu que les effets de l’homogénéisation induite par la mondialisation tendent à ignorer la dynamique de la diversité des formes culturelles (dans le domaine des langues, de la littérature, du cinéma, de l’ensemble des pratiques artistiques).
La situation et le devenir sociopolitiques de la région sera enfin au cœur des préoccupations de ces journées : comme tous les pays de la Caraïbe ne sont pas indépendants et que certains territoires relèvent toujours de la tutelle de puissances étrangères telles que l’Angleterre, la France, la Hollande, une partie des débats s’efforcera de déterminer si, dans la Caraïbe, des disparités se manifestent au niveau économique et socioculturel, et si son avenir, pour être prometteur, passe par des accords tels que le ZLEA et le CARICOM.
Cet appel à communication s’adresse aux quatre principales aires culturelles de la Caraïbe (francophone, anglophone, hispanophone et lusophone) ; ce faisant il n’ignore en aucun cas sa composante créolophone.
Il pourra s’agir de communications individuelles mais aussi de tables rondes autour d’une thématique abordée et explorée à partir de trois communications la traitant sous des angles spécifiques.
À titre indicatif, nous suggérons aux contributeurs les axes (non exhaustifs) de réflexion ci-dessous :
- les fragmentations imposées par l’histoire et l’héritage colonial
- créolité/créolisation
- les théoriciens de la culture et de l’identité de l’espace caribéen (Chamoiseau, Glissant, Brathwaite, Benítez-Rojo)
- l’aspect linguistique (la rencontre des langues, le devenir du créole, etc.)
- la Caraïbe au crible des questions de domination/émancipation des populations, de la lutte des classes sociales et de « la guerre des sexes »
- le cinéma caribéen
- les effets de la mondialisation
- les atouts économiques de l’aire caribéenne
- les stratégies pour évoluer vers une « intégration » régionale consolidée
- les relations politiques intra-caribéennes et l’ouverture de la Caraïbe sur le monde